Moitié de coq, pourquoi et comment ?

Commençons par ce qui me semble évident et ne l’est pas pour tout le monde : « Moitié de coq » est un conte ! Traditionnel, plus de 80 versions différentes ont été collectées en France et celle-ci, la mienne, n’est qu’une de plus. Cependant, c’est une version personnelle qui s’appuie, s’inspire des précédentes pour qu’elle soit non pas « rien qu’une de plus » ou pire « une de trop », encore que ça, ce n’est pas à moi de juger, c’est à ceux qui se croient juges. Et si j’ai jugé bon de raconter cette histoire à ma façon, maintenant, vous vous doutez bien que j’ai plus d’une bonne raison autre que celle de travailler avec des gens de grands talents comme Grégory Allaert et Ronan Badel.

Commençons par ce qui me semble évident : L’importance de cette histoire est là dans ce résumé que je vous propose : un tout petit mal fichu, handicapé pour tout dire part réparer une injustice faite à sa mère et à lui. En chemin, il va rencontrer ses pires ennemis mais au lieu de se faire dévorer, noyer, écrabouiller, il va les emmener avec lui. Arrivés chez le roi, ses amis vont l’aider car ce roi est un roi « qui préfère prendre que rendre », un roi qui croit qu’il a tous les droits et de ça, Moitié de Coq n’est pas du tout d’accord. Comme dans nombre de contes, il s’agit donc d’une histoire vantant le courage du faible contre le fort et de sa victoire. Rappelons-nous que le conte n’apprend pas aux enfants, ni aux grands, qu’il existe des monstres mais il leur apprend que l’on peut les battre ! Et lui, Moitié de Coq sera récompensé car c’est depuis cette aventure que l’on met sa statue en haut des églises et des beffrois, ce qui n’est pas rien ! Nous sommes tous confrontés, un jour ou l’autre, à l’injustice, le tout étant de savoir comment nous allons y réagir. IL y a évidemment une grande différence entre le « coup du sort », le « pas de bol » et le fait de se retrouver face à un puissant qui abuse de son pouvoir, qui nie le droit à la justice et ici, c’est le cas de Moitié de Coq et sa mère : ils ont prêté au roi et celui-ci, n’a jamais voulu rendre car il préfère prendre…

Commençons par ce qui me semble évident, Moitié de Coq est un conte qui s’adresse aux enfants et à ceux qui l’ont été, communément appelés « les adultes » (qui peuvent être parents, grands-parents ou pas) : rappelez-vous, c’est important, nous avons tous été des enfants avec une vie, des jeux, des rêves, une histoire personnelle avec des histoires pour dedans, des blagues, des contes, des trucs pour se marrer parfois loin des adultes, des trucs qui nous faisaient rigoler à s’en mouiller le slip, à se tordre de rire comme un linge que l’on essore et puis aussi, des colères, des grandes et belles colères qui nous faisaient crier « c’est pas juste ! ». Et souvent, dans l’un comme dans l’autre, dans nos rires, nos larmes, nos colères, les adultes (surtout ceux à la mémoire défaillante concernant leur propre enfance) venaient nous voir pour nous dire : c’est dégoûtant, on ne doit pas rire de ça, tu ne vas pas pleurer pour ça ou pire, « c’est comme ça, tu finiras par t’habituer, t’y faire, çà l’a toujours été et puis c’est tout… maintenant, va faire tes devoirs, va ranger ta chambre, finit ta soupe… »

Commençons par ce qui me semble évident, il est un âge où la scatologie, ou « le folklore obscène enfantin » (lecture fortement recommandée) comme dirait Claude Gaignebé, c’est le summum de l’humour ! Attention, pas de trucs dégueulasses non, des trucs marrants et enfantins comme « boule de pus », « crotte de nez », « Pipi-caca-prout » qui sont le summum de la drôlerie (à cet âge-là) et des sources de fous-rires inépuisables surtout quand on se cache des adultes, quand on se cache derrière sa main pour les dire… Ce n’est qu’un passage, normalement (encore que je connaisse un certain nombre d’adultes qui rigolent comme des malades au moindre prout…), et puis on grandit. Un passage ne vaut que si on le passe, pas si on l’évite. Les études le prouvent, il faut avoir bien vécu son enfance pour pouvoir devenir adulte.

Commençons par ce qui me semble évident mais ce qui va sans dire, va toujours mieux en le disant : « Moitié de Coq » n’est pas un conte scatologique ! Ou pas que, ce n’est pas parce qu’il y est question de « trou du cul » que cela en fait un conte scatologique. Comme le fait de dire que lorsque le loup des « Trois petits cochons » pète pour faire envoler les maisons des cochons, c’est drôle mais ce n’est pas l’essentiel de l’histoire ! Et moi, qui suis né dans le Nord et qui ait beaucoup entendu les chansons du carnaval de Dunkerque qui le sont franchement (et qui m’ont fait beaucoup rire, et encore maintenant), je peux vous le dire « Moitié de coq » n’est pas un conte scatologique (juste un peu). Et surtout, c’est un conte, vous savez ce genre de récit où il y a des dragons, des maisons sur des pattes de poule, des grands méchants loups et aussi des maris féminicides en série, des pères incestueux, des mères qui envoient leur petite fille dans la forêt où rode un prédateur terrible (Barbe Bleue, Peau d’âne et le Petit Chaperon Rouge) pour ne prendre que quelques exemples.

Commençons par ce qui me semble évident, Moitié de Coq est une coquecigrue : à savoir un animal imaginaire et une baliverne, un propos impossible ! La preuve, il n’est qu’une moitié avec une patte, une seule, une aile, une seule, un œil, un seul, une moitié de bec, une seule mais… un trou du cul ! Entier ! Mais enfin voyons, ce n’est pas sérieux ! Il aurait dû n’en avoir qu’une moitié ! Ben non, c’est ça qui est drôle et c’est le « Il était une fois » ou le « Un jour… » du début qui le permet puisqu’il annonce le conte, le récit où la frontière entre le réel et l’imaginaire est abolie.

Commençons par ce qui me semble évident : il y a des versions édulcorées où Moitié de Coq cache ses amis sous son aile, sur son dos ou « dans son petit jabot » … pour cette dernière proposition, d’accord ils sont cachés mais pas sous l’aile ni sur le dos ! Il ne faut pas nous prendre pour des perdreaux de l’année tombés de la dernière pluie que si on nous appuyait sur le nez du lait en sortirait. Quand Moitié de Coq dit « rentre dans mon trou du cul et n’en bouge plus », c’est drôle et c’est aussi une cachette qui est proposée au renard et au loup qui ont peur des hommes, à la rivière qui a peur de se disperser ou au géant qui est trop grand pour bien voir (mais qui est capable de se recroqueviller pour entrer… un peu comme tous les animaux dans « la moufle », le conte bien connu ? Un peu.) Yannick Jaulin, immense conteur, a trouvé une formule pour dire la même chose qui m’a rendu jaloux autant qu’admiratif, surtout admiratif : son Moitié de Coq à lui, Moitié de Jau, dit « Grimpe dans mon derrière » et c’est génial mais c’est lui qui l’a trouvé… Il y a d’autres formules que je n’aurai pas été capable de dire, qui ne me font pas rire, de ce bon rire enfantin caché derrière la main comme si j’avais dit, par exemple, « trou du cul » sans penser à rien d’autre qu’à la drôlerie du mot, au comique de la situation sans aucune arrière-pensée qui n’a rien à faire ici…

Commençons par ce qui me semble évident, j’ai raconté cette histoire de nombreuses fois et après l’hilarité causée par ces mots si rigolos « trou du cul », le public, y compris les enfants, écoutaient et aimaient cette histoire, ce héros. Ensuite, s’il s’avisait qu’ils voulaient dire « trou du cul » tout le temps alors, il était très facile de leur dire : pas maintenant, pas n’importe quand, pas n’importe où, pas à n’importe qui. Ce qui est tout simplement une question d’éducation. Et jamais, il n’y a eu de confusion entre cette histoire, ce conte loufoque mais éminemment moral comme je l’ai dit et des actes dégueulasses, criminels et heureusement punis par la loi ! Si j’avais eu le moindre doute à ce propos, je n’aurai jamais raconté cette histoire, Didier Jeunesse puis Oui’Dire ne l’auraient jamais éditée.

Commençons par ce qui me semble évident, je suis responsable de ce que je dis, de ce que j’écris, j’en assume, revendique, chaque mot. J’aime les illustrations de Ronan Badel comme j’aime les musiques de Grégory Allaert. Je suis responsable de ce que je dis mais pas de ce que vous comprenez.

Bonne lecture, bonne écoute et amusez-vous bien.

Pierre Delye